Imaginez une grande ville où, un beau matin, tous les mendiants feraient grève. Pas de collecte, pas de sollicitation culpabilisante, pas de mendicité jusqu'à nouvel ordre. On aurait tendance à penser "Pas de quoi fouetter un chat !", "quel intérêt ?", "bon débarras !", "bof !". En fait, de ce côté de la Méditerranée, il est fort probable qu'on ne s'en rendrait pas compte.
Cependant, le contexte est un élément majeur puisque l'initiative se déroule à Dakar en terre musulmane. L'aumône (la zakat) est un pilier de l'Islam. C'est donc cette situation surréaliste qu'Aminata Sow Fall nous décrit – à savoir une ville où les habitants sont obligés de faire des kilomètres pour faire leur aumône ou leur sacrifice pour les mendiants – dans son roman devenu un classique des lettres africaines, j'ai nommé La grève des bàttu.
C'est ma période sénégalaise. Je me régale. Je pense que cette situation que l'on pourrait qualifier de farfelue est une création de l'imaginaire fertile de l'écrivaine. J'aimerai toutefois être contredit.
Le ministère de l'Intérieur sénégalais a reçu des instructions du sommet. Afin de développer le tourisme dans le pays, l'état décide de débarrasser les grandes villes de ses mendiants qui encombrent les artères principales et les carrefours avec leurs bàttu. Sous la direction de Mour NDiaye, Keba Dabo fonctionnaire zélé va appliquer toute sa science et ses angoisses personnelles pour atteindre cet objectif. Par la violence souvent. C'est sans compter sur la réaction (inattendue?) des mendiants harcelés qui décident de faire grève. Faire la chasse aux mendiants n'est pas une situation nouvelle.